Mickey va-t-il appartenir à tout le monde en 2024 ?
Un petit événement culturel va avoir lieu le 1er janvier 2024 : la première version de Mickey va tomber dans le domaine public.
Pourquoi la figure emblématique de Disney devrait devenir notre propriété à tous ?
Comment Disney a ratissé le domaine public à son profit pour mieux en priver le public ensuite...
C'est l'histoire d'une souris...
Collection de carnets et affiches d'art d'astronomie, d'astrologie, d'étoiles filantes et de cartes du ciel imprimés en France 🇫🇷 sur un papier certifié FSC.
L'art peut déjà s'en emparer en France (droit à la parodie) et théoriquement, tout le monde devrait pouvoir en faire autant en 2024 ⎥ Mickey is also a rat (2006) - ©Nicolas Rubinstein
Quand Mickey tombe dans le domaine public ?
Aux états unis les oeuvres tombent dans le domaine public 95 ans après leur date de première publication (plus de détails dans cet article)).
On n'applique pas notre propre loi française (70 ans après la mort de l'auteur) sur une oeuvre étrangère.
Si une oeuvre est dans le domaine public dans son pays d'origine elle l'est également chez nous.
La première apparition de Mickey s'est faite dans Steamboat Willie en 1928.
On calcule donc 1928 + 95 ans = 2023 (puis on attend le 1er janvier suivant soit le 1er janvier 2024).
En 2024 la première version de Mickey tombera dans le domaine public dans de très nombreux pays dont la France.
La toute première version de Mickey ⎥ Steamboat Willie (1928) - ©Disney
Pourquoi Mickey pourrait appartenir à tout le monde ?
Mickey dans sa version Steamboat willie va rejoindre le domaine public.
Il n'appartiendra plus à personne, il appartiendra donc à tout le monde.
Le domaine public est comme une grande bibliothèque d'oeuvres qui appartiennent à l'humanité toute entière.
Tout le monde peut piocher dans cette bibliothèque d'oeuvres de l'esprit sans avoir à verser de droits à personne : même pour en faire le commerce.
Les droits que touchent un auteur pour sa création et le domaine public sont des questions très philosophiques qui agitent le monde de la création depuis le XVIIIe siècle.
J'y reviendrai en détail un jour mais quand il a été question de créer le droit d'auteur on a considéré que les artistes ne créaient pas seuls et que leur travail n'était pas le fruit de leur seul génie.
Un artiste est souvent inspiré par ses contemporains ou par des oeuvres passées, son travail est aussi nourri par un contexte, une époque, des discussions, des visites, des expositions et tout ce que la culture de son pays à à lui offrir.
Les défenseurs du domaine public (Victor Hugo en France) ont pensé qu'il était juste qu'une fois que l'auteur d'une oeuvre et ceux qui l'ont connu de son vivant en ont tiré les bénéfices, elle devait revenir à la communauté.
Ainsi, en 2024, Mickey doit revenir à la communauté.
"Ah non laissez moi tranquille !"⎥ Steamboat Willie (1928) - dessins de l'animateur Ub Iwerks ©Disney
Que sera-t-il possible de faire ?
Il sera théoriquement possible d'exploiter commercialement le dessin animé original et sa bande son, de reprendre des images qui en sont issues et d'en vendre des reproductions sur tous les supports qui nous chantent...
Tout ce qui en découle également comme des oreilles de Mickey et leur forme bien spécifique, des jouets en forme de Mickey devrait théoriquement être autorisé... etc.
On va en manger PARTOUT dès le 1er janvier 2024 du Steamboat Willie, les produits sont déjà prêts.
C'est quoi la limite ?
MAIS il y a un gros mais (enfin plusieurs gros mais).
En 2024, la version de Mickey qui tombe dans le domaine public est uniquement la version de Mickey de Steamboat Willie (détail - source légale UK)
Ce qui veut dire concrètement que...
Il n'a pas de gants : Mickey commence à porter des gants à partir du film The Opry House en 1929 (Mickey avec des gants, domaine public le 1er janvier 2025 ?)
Il est en noir en blanc : exit la palette noir, jaune, chair et rouge, la première apparition couleur de Mickey est Parade of the Award Nominees en 1932 mais il porte un short vert et des gants jaunes. Pour autant, le merchandising de l'époque pouvait varier et on trouvait également des peluches Mickey avec un short rouge et des gants blancs (Mickey Couleur, domaine public le 1er janvier 2028 ?)
Parade of the Award Nominees (1934) ©Disney
Les couleurs actuelles de Mickey - qu'on pourra associer à son dessin dès 2028 ?
Il a encore sa petite tête de rat : avec le museau plus allongé et une bonhommie différente, Mickey ayant beaucoup évolué au fil des ans.
Il n'a pas encore non plus porté sa tenue emblématique de l'apprenti sorcier (Fantasia - 1940) (Mickey et son chapeau de sorcier, domaine public le 1er janvier 2036 ?).
Mais est-ce la seule limite ?
Pourquoi c'est de bonne guerre que Mickey tombe dans le domaine public ?
Si ses petits animés courts avec Mickey (comme Steamboat Willie) ont lancé la Walt Disney Company, c'est bien à son premier long métrage Blanche neige et les 7 nains (1937) qu'elle doit son premier vrai succès commercial.
Et devinez pourquoi c'est cette histoire qui a été sélectionnée ?
C'est parce que Blanche-Neige était dans le domaine public qu'elle a été choisie pour être le premier long métrage d'animation de Disney.
Comme le raconte Neal Gabler le biographe de Walt Disney dans Le triomphe de l'imagination américaine :
" Walt a dit qu'il se souvenait avoir vu une pièce de Blanche-Neige quand il était enfant (...) puis au Convention Hall quand il avait quinze ans.
Il y avait donc eu, dans la courte durée de vie de Disney de quinze ans, déjà deux versions de Blanche-Neige publiées en théâtre et en film, en plus du conte de fées original des frères Grimm.
Parce que le travail était dans le domaine public, il offrait plus d'opportunités pour que l'histoire soit racontée.
Comme Disney l'a dit à un vieil associé d'affaires, "Je sais que [voir Blanche-Neige enfant] a joué un grand rôle dans le choix de Blanche-Neige pour ma première production de longs métrages".
Un choix assumé qui s'est répété dans toute l'histoire des studios.
Depuis ses débuts à Kansas City, Disney a ratissé le domaine public pour ses productions, trouvant des sources dans :
- Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll
- Pinocchio de Carlo Collodi
- Blanche-Neige et les sept nains, Raiponce et la princesse et la grenouille des frères Grimm
- La Belle au bois dormant et Cendrillon de Charles Perrault
- La Petite Sirène et La Reine des neiges de Hans Christian Andersen
- Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling
- La Belle et la Bête de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont
Et également des contes de tradition orale comme Hercules, Robin des bois, Mulan et Aladdin.
Certaines oeuvres disposaient même de bandes originales toutes composées comme la belle au bois dormant de Tchaïkovski (tombée dans le domaine public 16 ans avant la sortir du long métrage de Disney).
Aucun droits d'auteurs à verser pour des oeuvres dont le succès populaire était déjà grand, leur garantissant des films qui avaient de fortes chances de fonctionner.
Une très bonne stratégie.
Poster promotionnel Snow white and the seven dwarfs "adapted from Grimm's Fairy Tales" (1936) ©Disney
Comment Disney a gelé le domaine public ?
Mais si la Walt Disney Company a exploité le domaine public pour ses propres bénéfices elle a par la suite voulu le limiter quand il a été question de rendre ce qui lui avait été donné...
...pour protéger son icône et empêcher Mickey de tomber à son tour dans le domaine public en 1984 (la durée du copyright initiale aux états unis était de 56 ans après la première date de publication).
A l'approche de cette date fatidique, la Walt Disney Company s'est lancée dans un lobbying intense auprès du Congrès américain.
Qui a ainsi adopté la loi sur le droit d'auteur de 1976, étendant la protection du droit d'auteur à 75 ans pour les œuvres de commande (prolongeant le droit d'auteur pour Steamboat Willie jusqu'en 2004).
Puis re-belote à l'approche de 2004.
En 1998, le Congrès a adopté le Sonny Bono Copyright Term Extension Act qui a ajouté 20 ans supplémentaires à la durée du copyright américain.
Aussi communément appelé le Mickey Mouse Protection Act par certains observateurs en raison des efforts de lobbying intensifs de la Walt Disney Company.
Aucune œuvre de commande protégée par le copyright n'entrerait à nouveau dans le domaine public avant 2019, créant une étrange interruption de 20 ans entre la sortie des œuvres de 1922 et celles de 1923.
Pour une entreprise qui doit en partie son succès au domaine public, c'est pas ironique d'avoir privé les créatifs de ce matériau qui leur a tant servi ?
Ce contrôle étendu sur le domaine public a étouffé le monde créatif.
Le domaine public sert un objectif important : les gens s'appuient sur les idées des autres.
Avec les lois initiales sur le droit d'auteur, le créateur original avait suffisamment de temps pour tirer un profit sain de son travail et en revendiquer la propriété avant de le laisser au monde, sans obliger ses descendants à se battre pour leurs créations.
L'hypocrisie de Disney à propos de la propriété créative est évidente avec le film qui a mis Mickey Mouse à l'écran : Steamboat Willie de 1928.
La création de Disney est basée sur le film "Steamboat Bill Jr" de Buster Keaton. en 1928, qui lui-même a été nommé d'après la chanson de 1911 d'Arthur Collins.
C'est le sens de la liberté créative : construire sur des idées et partager la créativité.
Dans leur quête pour conserver la propriété de leur souris fondatrice, ils ont retiré Keaton et Collins du récit, retenant tout crédit et les excluant du travail inspiré par leurs efforts.
Disney a immensément profité d'autres idées et les a revendiquées.
Aujourd'hui ils empêchent le même processus créatif de se produire avec leur influence médiatique massive et globale.
Et maintenant, que va-il se passer ? Comment Disney se prépare à contre-attaquer en 2024 ?
"Halte là pas si vite..." ⎥ Croquis original de Mickey et Pat Hibulaire Steamboat Willie (1928) - dessins de l'animateur Ub Iwerks ©Disney
Pourquoi ça va être la guerre en 2024 ?
Après 1998 on attendait une nouvelle tentative forte de la part de Disney pour à nouveau repousser la protection de Mickey...
Il semblerait que de 2006 à 2019, Disney aurait fait pression pour 19 projets de loi sur le droit d'auteur (source)
Sans succès...
En 1998, les grands studios de cinéma se sont associés aux successions d'auteurs et de musiciens célèbres pour faire pression pour une extension du droit d'auteur.
On espérait que les associations professionnelles de bibliothécaires et d'historiens - qui avaient traditionnellement été d'importants défenseurs de l'intérêt public sur les questions de droit d'auteur - aideraient à stopper le projet de loi. Mais la loi est passée.
L'essor d'Internet a depuis totalement changé le paysage politique sur les questions de droit d'auteur. L'Electronic Frontier Foundation est beaucoup plus importante qu'elle ne l'était en 1998. D'autres groupes, dont Public Knowledge, n'existaient même pas il y a 20 ans. Les sociétés Internet, en particulier Google, sont devenues de puissants opposants à l'extension des protections du droit d'auteur.
La Guilde des auteurs américains, par exemple, "ne soutient pas l'extension de la durée du droit d'auteur, d'autant plus que nombre de nos membres bénéficient de l'accès à un domaine public florissant et substantiel d'œuvres plus anciennes".
Mais au début des années 1990 en plus du lobbying auprès du congrès, ils ont eu une idée...
Buenavista International, qui s'occupait des productions Walt Disney aux États-Unis, a eu, pour la première fois, l'idée de faire appel au droit des marques. Le dépôt de la marque Mickey empêcherait le public et les entreprises de pouvoir utiliser librement le personnage de Mickey en vue de son exploitation commerciale
On peut en effet renouveler un dépôt de marque indéfiniment.
La silhouette de Mickey est en effet une figure emblématique de Disney, on ne peut pas complètement leur en vouloir de souhaiter la protéger.
Elle est en plus largement utilisé par Disney pour signifier que Disney est la source d'un produit particulier, le risque en matière de contrefaçon est important.
Certains affirment que même si les anciens dessins animés de Mickey tomberont dans le domaine public, la marque pourrait sauver Mickey lui-même.
Il serait difficile de vendre un produit arborant Mickey d'une manière qui pourrait être perçue comme une marque, mais peut-être plus plausible de faire un nouveau film mettant en vedette Steamboat Mickey.
Première édition de Winnie-the-Pooh (1926) - de A.A. Milne - Domaine public
Le cas Winnie l'Ourson
Le 1er janvier 2022, le premier livre de Winnie L'ourson est tombé dans le domaine public (sa première publication dans une histoire originale de A.A. Milne date de 1926).
Disney a déposé le personnage en trademark il y a de nombreuses années (la franchise Winnie est sa 2e plus rentable après Mickey et ses amis), mais n'en est pas le créateur original, ils ont donc moins de légitimité à protéger le petit ours que leur emblématique Mickey depuis qu'e son copyright a expiré.
Disney garde la propriété de Tigrou jusqu'en 2024 (Tigrou n'est apparu dans les livres qu'en 1928) et de l'image de Winnie avec son T-shirt rouge jusqu'en 2028 (Ce T-shirt n'apparaît pas avant 1932 dans les livres).
Un film d'horreur anglais Winnie the Pooh: Blood and Honey est sorti cette année.
Ils ont minutieusement contourné le problème Disney qui avait le film dans leur radar en évitant le T-shirt rouge et les personnages qu'on ne trouve pas dans le premier livre, pas de procès à l'horizon pour le moment.
Si la trouille de se retrouver en procès avec une entreprise ayant des moyens illimitées est bien présente il ne faut pas sous estimer l'impopularité qu'un tel procès pourrait avoir pour Disney si quelqu'un revendiquait à juste titre le droit d'utiliser des ressources appartenant au grand public, quels que soient les trademarks déposées par Disney.
Nous ne sommes plus dans les années 90 : avec Internet et les réseaux sociaux une affaire de David contre Goliath ne tournerait pas à leur avantage.
Ce film semble avoir pavé la route pour tous ceux qui voudraient exploiter Winnie L'ourson.
Walt Disney Corporate Christmas Card (1934) ©Disney
Mickey, Minnie et ses copains
On parle de Mickey, mais Minnie, a fait ses débuts en même temps que Mickey dans Steamboat Willie.
Elle tombera donc aussi dans le domaine public en 2024.
Pluto (1930), Dingo (1932) et Donald Duck (1934) suivront également de près Mickey et Minnie.
Si Mickey est si étroitement lié à la marque Disney et si reconnaissable qu'il est quasiment sûr d'être protégé en 2024, on ne peut en dire autant de ses petits copains.
Rendez vous en 2026 pour voir ce qui se passe avec Pluto.
Abécédaire oiseaux MONTESSORI
Abécédaire inspiré de la pédagogie Montessori, créé à partir d'illustrations ornithologiques d'Elizabeth Gould (UK 1804-1841) et imprimé en France sur un papier qualité musée certifié FSC.
Sources & infos
Mickey version Steamboat Willie tombera dans le domaine public en 2024, en attendant il est la propriété de Disney.
Winnie l'ourson tel qu'il existe dans le premier livre paru en 1926 est dans le domaine public.
Contrairement à la France où toutes les oeuvres d'un auteur tombent dans le domaine public 70 ans après sa mort, aux Etats unis les oeuvres de commande tombent dans le domaine public au compte goutte, année après année, 95 ans après leur première publication quand le copyright expire.
Ce sont les oeuvres qui sont protégées pas les auteurs.
Sources
For the First Time in More Than 20 Years, Copyrighted Works Will Enter the Public Domain - Smithsonian magazine
What Happens When Disney Doesn’t Own Mickey Mouse Anymore? - Disney food blog
Disney’s Domination of the Public Domain - NYU News
Mickey mouse - Wikipedia
Why Mickey Mouse’s 1998 copyright extension probably won’t happen again - Ars Technica
2 commentaires
Quel article passionnant, je découvre un monde qui m’était totalement étranger :)
Passionnant ! J’ai appris plein de trucs ! Merci